Atelier 90



Zistoir la Fontaine






éditions la maison bleue




Zistoir la Fontaine


Pour monter de Saint-Leu « en bas », jusqu’au lieu dit La Fontaine, il y a une cinquantaine de virages dont certains sont peu ordinaires. L’un d’entre eux est par nous surnommé le Moebius : on dirait un ruban à surface unique, prêt à nous transporter dans une dimension incertaine, réduite à une courbe infinie.

Au lieu dit « Fontaine » (ou « La Fontaine »), 500 mètres au-dessus diu niveau de la mer, la ravine qui porte le même nom, creuse le paysage de façon très radicale. Quant à la a route sinueuse, alias « Chemin Surprise » qui s’en va rejoindre la D13 précisément là où se franchit la ravine, elle est depuis le niveau zéro jalonnée par une douzaine d’arrêts de bus « Eolis », chacun portant un nom suscité par le terrain, la végétation, un repère humain visible ou non. Les arrêts « cars jaunes » prennent le relais sur la D13. Inutile de préciser que monter à la Fontaine ou en descendre constitue une forme de sport relativement risqué.

Une autre singularité du lieu : l’installation du chantier de la route des Tamarins, « ouvrage d’art non courant », qui bouleverse totalement le paysage et fait paraître incongrue la balade erratique du troupeau de chèvres inféodé au lieu. Un paysage d’abord dominé par les grues, parcouru par des monstres appelés Caterpillar, New Holland, Evolution, une noria de bétonneuses, de remorques, de véhicules à chenilles s’escrimant à virer en plusieurs épisodes dans les épingles à cheveux, en concurrence avec les cars déjà gênés aux entournures. Puis l’édification des viaducs, avec les deux équipes travaillant à se rejoindre au milieu du vide. Enfin, après apaisement des monstres, la Route, vierge bitume offert aux skaters, aux cyclistes, aux piétons en attendant sa mise en service en Juin 2009.

Monter – au ralenti ou à pied - le Chemin Surprise, c’est l’occasion de s’intéresser à tout cela : excavations, dévastations, couleur rouge de la terre, bougainvillées pourpres, conduites à risques, fleurs de flamboyants, récolte des baies roses, stationnements fantaisistes, piétons en danger, joggers et joggeuses, parapentistes, camionneurs coopérants, canettes, batteries, polystyrène dans les fossés, « sorts » sur la chaussée, parades de condés, activité des tisserins à l’endroit du radier submersible, et bien sûr, tout ce qui se lit, tout ce qui fait texte.

Ainsi est né le désir de textualiser la montée, de mettre en mots, en « zistoir », la route de Fontaine, en partant des noms écrits sur les arrêts de bus, institués en « titres ». Par exemple « Epingle à cheveux », « Epineux », ou celui qui, en 2006, disparut de l’itinéraire : « la Cafrine ». D’autres noms apparaissent, chemins, enseignes : « Impasse de la falaise », « Arsène moto » et aussi des indications liées à la présence éphémère mais inoubliable du Chantier, « Point de rencontre », « Ouvrage d’art exceptionnel »…

Au hasard de l’imaginaire de chacun, s’est écrite ainsi une brassée d’histoires.

Ouvrons donc le chantier des « histoires », ou contes ou fables ou poèmes, comme on voudra les appeler, écrites en un lieu qu’on nommera Atelier 90, où se pratique un atelier d écriture fantaisiste, sans obligation de présence et sans véritable calendrier …


Guillemette, octobre 2008








Proposition d’écriture


Voici les noms des stations de bus auxquelles s’ajoutent différents repères, noms de rues, inscriptions liées à la présence du Chantier des Tamarins.

Pour écrire :

Choisir ou tirer au hasard une seule de ces propositions. A partir de cette « incitation », écrire sous la forme de son choix un texte : histoire, fable, nouvelle….qui aura pour titre le mot ou expression tiré au sort. Ainsi sont nées les vingt histoires suivantes :


La cafrine

Epingle à cheveux

Impasse de la falaise

Batterie sans culotte

Epineux

Savane

Maison 16

Chantier

Ouvrage d’art exceptionnel

Interdit au public

Point de rencontre

Chemin d’eau

Jacquier

Chemin de la vieille usine

Boutique créole

Arsène moto

Ecole la fontaine

Maison 58

Chemin la surprise

Fontaine












La cafrine

 

On la voit. Elle avance. Les pieds abîmés, enracinés dans la boue.

La tête dorée, perdue dans les nuages.

Elle avance si légère et si triste, si grave. Et son sourire.

Elle avance, seule, et tous avec elle.

Colorée, elle avance sur sa page blanche. Elle éclaire.

Dans un pas elle sera là, deux sera partie. Éphémère dans l’oubli.

Singulière et pourtant, partout on la connaît. On reconnaît son chemin.

Forte de son histoire, de ses espoirs à venir, elle avance.

Elle balance. Diling, diling, les bracelets aux poignets, les chaînes aux pieds.

Dessinée, devinez, elle avance.

 

On voudrait lui dire, mais on ne peut pas.

On contemple les traces de pas.




Epingle à cheveux



« Si tu ne te dépêches pas nous allons encore finir par être en retard. »

« … »

Elle ne sait pas ce qui l’agace le plus. La stérilité de la remarque, le machisme provocant qui s’en dégage ou bien ce « encore » traînant et accusateur, qui veut tout et rien dire.

A quand remonte le dernier « encore » de ce genre ? Elle n’a pas besoin de fouiller longtemps sa mémoire ; il date de quelques jours seulement.

« Tu as encore acheté une robe à un prix exorbitant que tu ne mettras qu’une seule fois… »

Elle lui avait pourtant expliqué le choix de sa sœur d’habiller toutes les demoiselles d’honneur en rouge. Lequel choix elle n’avait pas pu contester mais qui l’avait fort contrarié. Elle avait le rouge en horreur, et l’avait soigneusement banni de sa vie depuis son départ de la maison familiale, le temps des tenues choisies par maman et de la décoration intérieure sur laquelle elle n’avait pas son mot à dire. Aussi lorsqu’elle avait dû aller acheter sa robe de demoiselle elle avait pu en pardonner la couleur au prix d’une coupe et d’une qualité du tissu irréprochables. Certes. Mais pour autant elle ne se souvenait pas avoir déjà fait dans le passé ce genre d’achat coûteux et à usage unique.

Alors pourquoi ce « encore » déplacé ? Ne pouvait-il pas s’attabler devant une discussion franche et constructive plutôt que de semer ses « encore » indigestes à tout bout de champ ?

Le fil de ses pensées est interrompu par le son exagérément fort de la télévision allumée dans l’autre pièce par le mâle excédé par l’attente. Le bulletin météo. La dépression étonnement forte pour la saison qui passe dans les cieux de la région. Les averses abondantes qui l’accompagnent et qui accompagneront du même coup la sortie de l’église et son jeté de pétales de roses, la séance photo prévue dans le parc communal et le vin d’honneur servi dans la cour de la maison des grands-parents.

La panique qu’engendrent ces informations est difficilement descriptible mais très bien intériorisée. Lui dans l’autre pièce avait affirmé qu’ils seraient en retard et à présent elle devant sa glace commençait à douter qu’ils ne le seraient pas. Il lui fallait entièrement revoir sa coiffure. Car sa chevelure flamboyante n’avait pas seulement l’énorme inconvénient d’être incompatible avec la couleur rouge, elle avait également l’horrible défaut de se confondre avec le pelage du caniche roux en cas d’humidité conséquente dans l’atmosphère. Le moindre de ses poils capillaires devaient être emprisonné si elle ne voulait pas avoir à brûler l’ensemble des photos de ce mariage.

L’élastique serait insuffisant, le serre-tête était proscrit depuis l’école primaire et la barrette d’un vert trop vert pour aller avec le rouge trop rouge de sa robe.

L’épingle. Il ne lui restait que l’épingle, celle avec des coccinelles très rouges qu’elle avait reçue lors d’un de ces noëls entre célibataires où l’on tire un cadeau au sort en se confortant et en se félicitant de suivre la tradition culturelle et imposée. Où avait-elle bien pu enfouir cette épingle… ? Le dernier usage qu’elle en avait fait était l’ourlet improvisé du rideau du salon. Parce qu’après tout quand on ne sait pas coudre il reste l’inventivité et le recyclage des cadeaux moches.

Habillée donc mais décoiffée, elle se rue dans le salon y chercher l’épingle salvatrice, sous les regards de son homme piaffant sur le canapé et de son chat piaffant sur ses genoux. Le rideau traîne par terre et l’épingle n’y est plus, elle a disparu. Le chat bien sûr. Toujours à jouer avec autre chose que la souris en laine qui lui est pourtant exclusivement réservée. Tout en se concentrant pour poursuivre l’intériorisation de sa panique grandissante, elle demande l’air de rien :

«  Si ton chat se trouvait à jouer avec une épingle, aurais-tu une idée où il pourrait aller l’abandonner ? J’en ai absolument besoin.»

«  Tu ne vas pas encore mettre ton étourderie et ton retard sur le dos de ce pauvre animal ? »

Encore. Encore un encore. Le encore de trop.

Dorénavant elle sait qu’il leur faudra prendre des chemins différents. Elle commence même à regretter que sa route ait croisée la sienne. La pente est glissante et le virage s’impose.

Un virage en épingle à cheveux.









Impasse de la falaise



Près de chez moi un panneau bleu m’intrigue quand je monte en voiture. Je l’aperçois l’espace d’un instant. Il y a tant de virages que j’ai vite fait de ne plus y penser. Je me dis parfois que je devrais tourner dans cette ruelle sans maison. Elle s’appelle l’Impasse de la Falaise. Mais je n’ose pas.


Face à l’hôpital de Saint-Pierre il n’y a aucune habitation. La ville n’est pas loin, pourtant on s’imagine être à Rodrigues, en Ecosse ou au bord de la Manche. Ca dépend du temps. Le temps change vite. Le temps passe vite aussi et on croit en l’oubli. Souvent, un arc en ciel somptueux annonce la pluie et le vent. Un petit chemin longe la falaise invisible entre des herbes ocre. Parfois une mère tangue emprunte un instant cette route, suivie de ses petits. D’autres chemins partent vers la mer, à angle droit. La tentation du point de vue, du vertige, écourte vite une marche qui ne mène de toute façon pas bien loin. En quelques pas on s’approche du bord. Arrêt ébouriffé et brutal de la terre sur fond bleu ou vert ou gris, selon les jours, comme sur le Cap Blanc Nez, près de Calais. Contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, la Manche peut-être bleue, ou verte ou argentée !

Une planche de bois est en travers du chemin. Planche d’un panneau planté un jour ici et arrachée par le vent ou quelqu’un : Attention falaise !

Malaise…

Faire le clown avec cette planche, comme d’habitude, près du bord, sous le vacarme des vagues qui se brisent. Continuer d’oublier sans doute un autre chemin, une bifurcation, un néant peut-être.


Un jour j’ai quitté l’internat en secret. J’ai fait un long voyage en train, sans parler à personne. J’allais vers l’image du bout du monde accrochée sur la porte du casier de ma table. Une image en noir et blanc. Très violente, très contrastée. Je l’avais tirée moi-même en 30x40 dans le labo photo du lycée : trace de vacances chez un frère oublié : la Manche vue de la falaise du Cap Gris Nez. On retrouvait parfois le corps d’un homme ou d’une femme, cent vingt mètres en contrebas de cette brutale muraille blanche. Mon frère était maire. Il avait cette tâche terrible d’être présent après la découverte.

Soudain j’ai glissé du bord où je ne désirais que reposer toute la nuit glacée de décembre, nu comme à l’arrivée dans cette vie solitaire. Je ne voulais pas de rouge éclaté, seulement du blanc compact.

Je me suis réveillé en nage dans un cri, dans un autre lieu, une autre vie, du moins il me semble. J’y ai oublié l’appel mortel de l’impasse de la falaise.


De peur de me réveiller dans un instant vertigineux, je ne tournerai pas Impasse de la Falaise.



Batterie sans culotte







Il fallait bien que ça tombe sur moi !

Le scabreux, le graveleux, l’énigmatique, le pas commode, le défi.

Relevons.

Enlevons.

Commençons par la batterie, on verra bien où ça mène.

La batterie m’évoque Dave Brubek et son quartet : Take Five.

Ca se passe devant un juke -box, ce qui vous situe l’époque. Reculée. Au XX° siècle, tout de même. Une pièce (1franc) pour  Only You, une pour  I’m just a gigolo, encore une pour Bill Halley, une autre un peu plus tard dans la nuit pour  Smoke gets in your eyes  ou  It’s now or never. J’aime par-dessus tout le batteur du Dave Brubeck Quartet.

Le lieu où trône le juke-box est sur la plage. Une sorte de blockaus que nous appelons La Rotonde. On y trouve un bar, des loupiotes de couleur, des tables de métal avec des chaises bancales, des nuages de fumée de cigarette, et un paquet d’adolescents en jean, des vacanciers du week-end, des marginaux, des filles délurées, des enfants sages à qui leurs parents ont fait la leçon, ne rentre pas trop tard, surtout ne va pas à la Rotonde, c’est mal fréquenté, il y a des « blousons noirs ».

C’est pour moi le lieu le plus attirant du monde.

Roger, le patron, a décoré la Rotonde avec des filets de pêche et des boules de verre. Quelqu’un - qui n’est pas passé à la postérité - a peint une fresque sur le béton : des sirènes et des tritons, dansant parmi les étoiles de mer avec une pieuvre aux tentacules ratées, on dirait des tuyaux d’arrosage.

Nous sommes au bord de la plage, mais le bruit de la mer est couvert par les sons du juke-box et « les cris aigus des filles chatouillées », pardon c’est du Valéry, qu’est-ce qu’il vient faire là. C’est le caractère stratifié de la mémoire, n’est-ce pas, qui vous superpose des mots d’après, des mots appris …

Je ne connais rien à la musique mais j’ai toujours adoré la batterie. Quand j’étais toute petite mon père m’emmenait regarder le défilé du 14 juillet. J’applaudissais au son du tambour. « C’est de la musique qui rentre dans le ventre », disait mon père. Il n’y entendait pas la marche militaire, mais juste le plaisir de la pulsation. On a tenté de m’intéresser à la musique classique. En vain. Pas assez de tambour. J’ai détesté le piano. Et croyez moi, le Blue rondo à la turque, j’ai pensé longtemps qu’il était l’œuvre de Dave Brubeck. Un jour un concert me révèle que Mozart y est pour quelque chose. Ca alors.

A la Rotonde : des garçons aux pieds nus, aux jeans effrangés blanchis à l’eau de javel, les pouces passées dans la petite poche ou dans la ceinture, comme ils ont vu faire à James Dean.

L’amour de ma vie, Régis, un pull noir, des yeux verts. Danser. Sa peau est tendre, ses gestes doux. A la Rotonde, on vibre jusqu’aux larmes en écoutant Elvis Presley, on s’exalte sur Rock around the clock, et Take Five. Extase quand arrive le solo de batterie. Régis rêve d’être musicien, batteur, bien sûr, et ses parents, catholiques fervents, aussi conservateurs qu’une famille amish, le veulent ingénieur, à la rigueur comptable. Ils réussiront.

Ensuite, nous marchons sur la plage. Nous rapprochons nos corps tout neufs. Sans mots. La musique a tout dit. Nous ne savons même pas ce que signifie « désirer ». Les parents de Régis lui expliquent que « c’est  bestial ». Que désigne le c apostrophe ? Ils ne le disent pas. Sans doute ont-ils procréé à distance, trouvé leurs six enfants à l’orphelinat, de peur de ressembler à des bêtes ?

La musique du juke-box, le jazz, les rythmes de la batterie nous disent exactement le contraire de ces paroles amères et closes : suivez la pulsation vitale, écoutez votre sang qui circule vif, laissez palpiter votre peau, vos bouches, vos mains qui se cherchent : it’s now or never. La beauté de vos corps est une apothéose.

Nous marchons vers la mer. On entend encore Take five et les bruits de la liberté.

Mais nous avons intégré la leçon de morale. Intégré l’interdit. Appris au désir à refluer en une grande vague de frustration qui nous monte à la tête. Trouvons- nous dans cette violence extrême une forme de plaisir ? Refusé le sable doux pour s’y coucher ensemble. D’ailleurs c’est l’heure de rentrer.

Rien ne se passe, si ce n’est ensuite, chacun dans sa chambre, des mots qui coulent, qui débordent pour dire le désir. Une lettre qui transitera le lendemain pendant le cours sur Rousseau ou Lamartine, d’une poche à l’autre. J’ai écouté Take Five une partie de la nuit. Je pense à toi sans cesse.

Voilà pour la batterie.

Sans culotte, vous voyez bien, en ce temps là, ce n’était pas permis. Evidemment, je le regrette autant que vous. Plus encore.

Voilà pourquoi, je me déshabille aujourd’hui par métaphore, ce qui n’est pas rien : croyez-moi, c’est la première fois que je raconte la Rotonde, Dave Brubeck, la batterie et le grand amour de mes quinze ans.






Epineux




Juste à côté

la mer respire


Elle chuchote

la chochotte


Au loin sur la crête

ta silhouette

en cadence

se hérisse ou se plie


Un fagot de branchages sous un bras

sorti de l’épinaie

génie couronné d’incertitudes

tu t’échines t’égratignes


Rouges tes mains

Sang ta passion


L’écume en épissure

lèche les plaies sur mes pieds


Que d’embarras de difficultés

D’épines sans utilité


Tu lâches ton piquant fardeau


La peau des épineux

Je vous l’assure

Elle papote la cocotte


Craque l’allumette

Crépite le feu

















Savane



Nous avions pris l’habitude de nous réunir tous les trois certains mardis pour parler de nos cas « difficiles ».

Toujours chez moi, dans la grande maison silencieuse, quand les enfants étaient chez leur père.

Jean-Luc arrivait parfois le premier et nous prenions le temps de boire quelque chose avant de nous occuper du repas.

J’avais souvent l’esprit ailleurs qu’à la cuisine, alors, voyant que rien n’était prêt, le poisson encore congelé, les carottes pas lavées, il avait un regard étonné, un peu perdu et poussait un profond soupir avant de s’asseoir sur le petit tabouret, le dos contre l’évier.

Il dégageait alors ses épaules et regardait droit devant lui, la porte du réfrigérateur.

Moi, je flottais, entre ma journée incroyable, mes cas difficiles, le repas à l’état de projet embryonnaire et Jean-Luc, compact, les épaules dégagées, le regard posé devant lui, soupirant régulièrement.

Il disait parfois : « Mais qu’est ce qu’on s’emmerde à faire ce métier ! Qu’est ce qu’on cherche à se compliquer la vie comme ça, et nos cas difficiles, s’ils étaient là, à nous entendre parler d’eux comme ça, qu’est ce qu’ils diraient ? »

Moi, je répondais : « Ils seraient horrifiés, choqués, perturbés pour de bon ! Ils penseraient que c’est nous les malades, les borderline, les prépsychotiques »

Alors il me disait : « Et si on repartait dans notre savane, et si on repartait d’où on vient ? On les emmènerait avec nous et on leur montrerait nos cases, nos parents, nos familles pauvres, pieds nus dans la poussière, le soleil qui cogne la tête, la poussière rouge qui rentre partout, par tous les pores… »

Et je concluais : « Là on pourrait peut-être se comprendre, enfin, eux pourraient nous comprendre et mesurer à quel point ils peuvent être des cas difficiles pour nous. »

Alors, on riait et, tendant le bras vers le garde-manger, Jean-Luc cherchait une boîte de Savane de Brossard que nous avalions, tranche après tranche, en souriant.




Maison 16



Dans son costume un peu étroit, assis au fond du taxi, Justin transpirait. C’était la troisième fois qu’ils remontaient la même côte à trente à l’heure pour être sûrs que rien ne leur échappe, sans succès. Non, décidément, la maison 16 n’était plus là. Il ne cessait de répéter en comptant sur ses doigts : « Bon, il y avait le radier, le pied d’zévi, puis quelques cent ou deux cents mètres après le p’tit Saint Expédit, la ligne de chocas, à gauche la case bleue des sœurs Payet et juste après et en face, la case de Monsieur Tribord dit Dédé, mon grand-père !»


Une fois de plus le jeune chauffeur exécuta un demi-tour, tout en haut du chemin, dans une entrée d’un champ de cannes. On peut dire qu’il en avait de la patience celui-là, j’en connais qui l’auraient planté là le Félix, avec sa grosse valise, le sac Tati rempli de paquets, et le sac Duty Free avec sans doute des cigarettes et au moins deux bouteilles d’alcool !

Encore une fois ils redescendirent la longue route en lacets. Une fois de plus Félix put admirer le lagon de Saint-Leu. Quarante ans qu’il avait quitté l’île, vous pensez ! « Zot’monmon n’était même pas encore sur la terre ! »


Pour le chauffeur qui venait à peine d’obtenir sa licence, c’était la première longue course qu’il effectuait. Jusque-là il était resté sur Saint-Denis et n’avait pas eu encore l’occasion dépasser Sainte Suzanne vers l’est et Le Port ou Saint-Paul de l’autre côté. Ça lui avait fait plaisir de dépasser les limites habituelles, et puis il fallait bien se lancer !

De surcroît, il avait éprouvé, dès qu’il l’avait vu, de la sympathie pour son client. Sur la route du littoral, celui-ci lui parlait de Sarcelles, de Vaux-en-Velin, Cergy-Pontoise, des mots magiques qui évoquaient pour lui une vie trépidante. « Ah, la métropole, il faut sortir mon petit ! »


Ils firent un petit arrêt sur la droite à la maison bleue afin de prendre quelques renseignements. Même si la couleur avait un peu viré, on reconnaissait bien les lambrequins que le vieux Payet avait lui même fabriqué à l’emporte-pièce avec de la tôle. Félix sortit du véhicule et du baro il tapa dans les mains, comme autrefois. Une jeune dame apparut qu’il pensa être une petite fille, une nièce ou même une cousine. Il fut déçu car elle ne semblait pas avoir entendu parler des anciennes propriétaires de la maison, qu’elle était une Grondin, que son père était un Grondin, la grand-mère maternelle c’était des Dijoux, mais aussi loin que l’on remonte, pas de Payet !


C’est à peine croyable, dit Félix, que les gens perdent la mémoire aussi facilement. Moi qui ai été absent pendant autant d’années, je me souviens des noms de tous mes voisins, de leurs surnoms, les p’tits noms gâtés. Chaque maison, chaque arbre, chaque fleur, tout est là-dedans ajouta-t-il en se frappant le front de l’index.


Le temps passait, le soleil commençait à colorer de rouge et d’orange l’horizon. Le jeune chauffeur perplexe proposa à notre homme de descendre sur le front de mer, à une petite boutique qu’il avait repérée, pour prendre un rafraîchissement.


Assis sur le muret du magasin, ils buvaient sans un mot. Dépité, Félix ne savait plus que faire. Son cousin lui avait pourtant téléphoné, il y a un mois. Il lui avait écrit aussi quelques lettres, oh, bien sûr pas très souvent. Pour le premier de l’an, les vœux. Et lui, il donnait aussi de temps en temps des nouvelles du pays, puisque c’était lui qui avait racheté la maison des grands-parents, et que c’était le seul à être resté au pays. Tiens, d’ailleurs dit tout haut Félix en sortant une enveloppe de sa poche, je l’ai gardée sur moi, sa dernière carte de vœux.

« Ah, dit le jeune chauffeur, voulez-vous bien me montrer l’adresse sur le dos ? »


- « Chemin Surprise ! Mais la route que nous avons prise, c’est chemin La Source ! »











Chantier




2007

Ile intense.

Tous l’attendent avec impatience.

Enchanter, enchanteur, enchantement.

Peut-être, sans doute, non certainement pas !

Quand il sera fini, LUI, plus de… , plus rien comme avant !


SAINT PAUL …

Trente minutes d’arrêt mais pas la moindre station de gare à l’horizon.

Un ruban de voitures. La chaleur insupportable de l’asphalte.

Pralines trop sucrées, « colodent » comme avant, « cot » bien frais.

En attendant, plaisir glucidique vaut mieux qu’agacement excessif.

Ce pétillement infâme et rougeoyant, ce goût irritant chacune de mes amygdales.


LA SALINE…

Voitures à l’arrêt. Patience, patience… Radio Freedom à tue-tête.

Nouvelles régulières de la circulation. Bouchon, embouteillage, encombrement, travaux, accident.

Toute l’île est en ligne. « Ladi-lafé » d’auditeurs qui font entendre leur voix grâce à la radio. « Celle qui s’écoute parler, celle qu’on fait causer, celle qu’on laisse causer, celle qui cause toujours ! ». Madame Aude et sa voix nasillarde. Bobby. Chloé.

Quand on écoute les gens parler à l’antenne, je suis inlassablement frappée par une langue qui ne distingue pas le français et le créole. Passage constant autorisé entre les langues. Le mythe de la langue pure est illusoire. Le langage est fait pour être bousculé. Jusqu’où ?


SAINT LEU …

Plaisir voluptueux d’une sonate de Schubert.

Le lagon. La fabuleuse gauche de Saint-Leu. Des vagues de 1,5 à 2 mètres sur le spot.

Contemplation du site. Attente prévue. Troisième et dernier arrêt avant Saint Pierre.

Oui dès qu’IL sera terminé, j’aurai encore une meilleure vue et cette impression fascinante.

Mer d’huiles au loin, horizon infini, velours vert à mes pieds.

Les Tamariniers, ils doivent bien en planter ?

Cette impression fantasmatique de tout dominer.

Dominer, dominari, dominus.

Minus oui ! Nous ne serons rien de plus que ce que nous sommes déjà.

Quand la route des Tamarins verra-t-elle le jour ?

En attendant de la boue, toujours de la boue…

Nombreux ouvrages d’art en suspens.

Grues et engins clinquant le jaune Chantier de France.

Pour quoi ?

Bof ! Mépris, lassitude mais aucune place pour l’indifférence.

Souci du patrimoine. Environnement à préserver.

Finies les vieilles bicoques surannées et les petites cases en bois sous tôle.

Arbres, arbustes, arbrisseaux, plus rien.

Plantes indigènes, endémiques et même les pestes végétales, tout est parti.

Tuit tuit, tec tec. Oiseaux endémiques de la Réunion, qu’allez-vous devenir ?

Pour une route, que l’Homme ne ferait-il pas ?

Pour un peu de temps gagné que ne détruirait-il pas ?

Pour Eux, les Enchanteurs du chantier des Tamarins, le ruban d’asphalte est un chemin doré.

Où est l’essentiel ?


1994

Et bien moi, mon chantier est celui de l’orthographe. « Revenir au bon vieux temps et à son lot de règles apprises par cœur» ou, résolument, s’y prendre différemment. Voilà un projet de grande envergure. Imaginer un jour que nos chères petites têtes blondes, nos élèves grands et petits peuvent se passionner pour un sujet si rébarbatif, autant politisé et entaché de valeurs. Faire de l’orthographe un vrai chantier… Y faire régner un grand désordre pour arriver à faire rimer orthographe et plaisir. Envie, conviction intime, recherche, informations et passion. Thèse.


2007

Pari tenu.

Construire l’orthographe à partir des écrits des élèves, je sais que des enseignants de plus en plus nombreux s’y emploient. Je sais aussi que plus d’un élève aujourd’hui y prend goût.

Jouer avec les mots de la langue et s’amuser comme des fous à créer règles et outils pour mieux écrire et se corriger, oui tout peut arriver. A condition de permettre aux élèves de devenir « détectives » en orthographe et ainsi d’apprendre notre belle langue en s’amusant.

Apprendre à apprendre. Comprendre comment on apprend. N’est-ce pas là l’essentiel ?


1888

PARIS : le champ de Mars est en chantier.

Gigantesque pari. Monstrueux chantier démarré en janvier 1887.

Tous y suent du matin au soir : l’hiver, 10 heures de labeur au quotidien ; l’été plus de 15 heures. Sur celui-là, on emploie qui veut. On y voit même des Apaches qui ont quitté leurs terres d’Arizona. Ils sont loin de chez eux. Où est leur essentiel ?

Ne plus combattre les blancs, ne pas se rendre et surtout ne pas mourir dans la réserve.


A événement exceptionnel, exposition universelle, réalisation magistrale.

Magister, magistratus.

Etre le maître et dominer (encore et toujours).

La Tour doit être finie pour l’Exposition Universelle de Paris.

320 m de haut (il en était prévu 300 à l’origine). Plus de 10 000 tonnes de ferrailles…

1665 marches.

Merci Gustave pour cette œuvre d’art qui porte ton nom. Il aura fallu 2 ans, 2 mois et 5 jours pour monter entièrement ta tour.

Combien, mais combien n’ont pu voir ta construction métallique terminée et ont péri dans ton aventure ?

Dis-moi Gustave, où est vraiment l’essentiel ?







Ouvrage d’art exceptionnel



Pedro-Léon grandit sans contrainte. Sans père ni mère, il est élevé par une grande tante qui tient une petite boutique de matériel de pêche près du port. L’école en ce temps-là n’étant pas obligatoire, et elle n’insiste pas beaucoup pour qu’il y reste. Aussi, tandis que les enfants des notables, en uniforme bleu marine et blanc, se pressent dans la grand’rue en entendant le premier coup de cloche de l’Institution Santa Maria Concession, Pedro-Léon court dans le sens contraire, vers la mer. Je le revois encore avec ses cheveux embrouillés, coiffé pas les anges comme le disent les commères de Santa-Cruz en montrant le blanc des yeux par-dessus leurs lunettes !

Il a à peine huit ans qu’il a déjà monté un petit « négoce » avec les clients de sa tante. « Ola Pedro-Léon ! » Il leur vend des vers de sable qu’il va ramasser à marée basse sous les rochers, derrière la cale. Il les met dans des boîtes de conserve avec un fond d’eau de mer et des petits bouts d’algues, qu’il aligne près de la sortie du magasin, à côté des cannes à pêche et des paniers. Un peso les dix, et si vous n’êtes pas contents, coupez-les en deux !


Je revois Pedro-Léon quinze ans plus tard en revenant à Santa-Cruz. Je le reconnais tout de suite avec ses yeux clairs, et sa tignasse indomptée. Il est assis sur le parapet de la cale, les pieds dans le vide, il a l’air absent. Le magasin de la tante n’existe plus. A la place, il y a un club de location de cassettes-vidéo. Je suis en vacances et j’ai tout mon temps. « Ola Pedro-Léon ! » Il sursaute comme s’il tombe d’un rêve. Il n’a plus l’habitude qu’on l’appelle par son nom.


Je sens soudain que je me suis approché un peu trop de lui. Sans que j’aie eu le temps de m’écarter, il m’a déjà agrippé le bras. « Quel idiot je suis ! Dire que je pouvais passer mon chemin, remonter tranquillement la rue du port et m’asseoir à la terrasse du bar de Manuel! J’aurais commandé un petit Xerès, il aurait bien sûr remis la tournée ! Au lieu de ça, me voilà bien embarqué !


Nous nous retrouvons tous les deux sur le sable sec de la plage, là où poussent les herbes revèches et où échouent les déchets de la mer.

Soudain, il se met à marcher plus vite et je me sens obligé de le suivre. Nous sommes maintenant sur la dune. Nous dépassons quelques cabines de plage abandonnées ou parfois même renversées. Et moi qui cours derrière lui, mes chaussures à la main, comme si j’avais peur de le perdre, je ne me reconnais pas. Je commence à transpirer dans ma chemise d’acétate, le sable me colle de partout, je m’y enfonce parfois jusqu’aux chevilles. Pourtant je ne peux plus faire demi-tour : « Ola Pedro-Léon, tu me tues là ! »


Tout à coup Pedro-Léon s’arrête. Santa Cruz est loin derrière nous ! Assis sur un vieux frigo arrivé là on ne sait comment, il me sourit. D’autres débris émergent du sable, aux couleurs arrogantes, pas encore adoucies par le sel ou le soleil. Du doigt, il me montre une construction de béton, à moitié affaissée tout en haut d’une butte. « Tu vas voir un ouvrage d’art exceptionnel ! me dit-il soudain en articulant toutes les syllabes. Je comprends, il va me montrer une de ses trouvailles qu’il a cachée là, et je vais devoir lui dire en plus que c’est beau ! Je regarde l’heure à ma montre : mon gosier sec commence à me faire mal !




Je marche maintenant comme un pantin, j’ai attaché ma chemise autour de mes reins, tant pis, allons jusqu’au bout. J’imagine mes amis accoudés au comptoir, devant leur petit Xérès ! Il déplace la plaque de bois qui obstrue l’entrée de son antre. Est-ce qu’il va aussi m’y faire entrer. Mais il en sort tout triomphant. Il tient un petit banc de bois, ordinaire, comme ceux que les petits cireurs utilisent au coin des rues. L’air joyeux de Pedro-Léon me consterne. A moins qu’il ne veuille me le vendre ? Epuisé, je fais encore quelques pas.


Alors Pedro-Léon : « Viens, c’est pour toi ! moi je vais m’asseoir par terre ! ». Il pose le banc, un peu plus loin, juste au sommet de la butte sableuse. Il m’attend : « Regarde ! Voici l’ouvrage d’art exceptionnel !»

Je n’ai pas oublié le soleil rouge de Pedro-Léon, qui ce soir là a glissé lentement dans l’océan, pour nous deux !





Interdit au public


Saint Leu 

Interdite au public, la vue sur l’Océan indien déchaîné par une houle encore jamais vue …

Ce n’est qu’une brimade de plus pour des badauds jouisseurs d’émotions fortes ! Il leur semble nul, le risque majeur, aux photographes amateurs de sensations, avides de « Photo du siècle », si sûrs de courir plus vite que l’improbable raz de marée.

Mais n’est-elle pas nécessaire l’assistance à familles inconscientes, en danger de Tsunami ? Et combien il coûte aux assurances, à la collectivité, à chaque proche, le frisson d’audace d’un imprudent voyeur ?


… il n’a toujours pas rendu les corps des deux pêcheurs disparus, l’Océan …


Mafate 

Interdit aux randonneurs, depuis le cyclone Gamède, le sentier qui relie l’Ilet aux Orangers à Grand Place les Hauts.

 Faire un détour de près de trois heures alors que la fatigue du dénivelé de la journée pèse dans mes reins et mes cuisses ? Impossible ! 

Mes pas s’enfoncent dans la terre grasse sous le regard indifférent de cinq ouvriers de l’ONF qui cassent la croûte. Je peine à monter dans un éboulis de terre et de roches : un pan de terrain a été emporté par la coulée…


…combien d’heures de pelletées de terre, faudrait-il aux forestiers pour dégager mon corps enseveli, et glacé ?


Le Tremblet

Interdite aux curieux, la vue sur les coulées de laves quand La Fournaise se réveille.

 On n’a qu’une semaine de vacances à La Réunion et on ne pourra même pas raconter que l’on a vu, touché, senti, ce que la télé a montré à tout le monde, ici et en métropole, on a l’air malins !

 Il est à nous, Notre Volcan, qui nous crache à la gueule l’acidité de ses effluves soufrées, ses brûlantes vomissures qui se figent, son hémorragie ardente qui vaporise vagues et rivières …et on ne peut même pas s’approprier du regard sa force fascinante qui détruit et qui tue ?

Nous, habitants de St Philippe, on a vu notre eau se tarir, nos cultures roussir, notre air devenir toxique, nos cases être menacées …et vous, promeneurs et touristes, demandez à venir admirer ?


…cette fois, la puissance infernale de Grand-Mère Kal ou de Madame Desbasssins, n’a tué que des spécimens rares de poissons des grands fonds ! Mais combien sont déjà morts pour n’avoir pas respecté la distance…

Saint Paul 

Interdit aux pas du public, le chantier de la Route des Tamarins.

Les engins, dinosaures d’acier aux mâchoires brutales après avoir grignoté un pont, ont croqué la roche et entaillé la montagne d’une tranchée trop rectiligne…et on ne peut même pas assister à ce combat de Titans gagné d’avance ? Arpenter, avec la fierté du découvreur, cette saignée bientôt ouverte à la pollution du trafic routier, marcher en conquistador d’une nouvelle voie terrestre gagnée sur la savane de l’Ouest  ?...


…ce chantier cyclopéen aurait déjà tué ceux qui y oeuvraient…dix, dit le ladilafé ?


Saint Denis 

Barachois : baignade interdite au public sur le front de mer sous peine d’amende.

 Pour cause de courants, de requins ? Pourtant c’est le rêve de tous les citadins de la capitale rêve d’un pôle Océan, d’une marina, d’une plage où farnienter chaque fin de semaine

… en une minute, quand le cyclone Gamède l’a décidé, la plateforme de prospection a disparu…


La Grande Chaloupe 

Interdite au trafic routier, la route du Littoral.

Bourdonnants dans le ciel bleu, des hélicoptères entortillent la montagne d’une cotte de mailles faite de filets anti-sous-marins, ajustés sur son corps friable et instable par de minuscules insectes à casques jaunes qui se balancent le long de filins : on les appelle les cordistes. Nouveaux esclaves au service de l’habillage de la montagne, ils permettent à cinquante milliers de travailleurs, fourmis consciencieuses, d’une infinie queue leu-leu, d’éviter matin et soir les lacets de la route de la Montagne. …Micro-coupures : beaucoup de mal pour moins de peur …macro-chute de filet : plus de peur que de mal pour le motard…

…tué net par un galet filant, le bébé endormi à l’arrière de sa voiture, morts aussi tous les conducteurs ensevelis sous les roches déferlantes…

Sainte Clotilde 

Radier submergé. Franchissement interdit.

De jeunes hommes, de l’eau jusqu’au genou, s’amusent à braver les flots sales. Sont-ils conscients de défier le ciel, par l’eau qui en vient ? Veulent-ils rivaliser entre eux, mettre à l’épreuve leurs forces nouvelles ? Se sentent-ils invincibles, comme ces touristes belges qui ont miraculeusement survécu à leur sort de bouchons flottants dans les flots ?


… et pourtant une femme dans sa voiture, au petit jour a glissé lentement dans la ravine emportée par un ruissellement aussi implacable que torrentiel, elle, et aussi combien d’autres… ?


Pas de Bellecombe 

Interdit au public de s’approcher du parapet qui borde l’enclos

Le parking est presque désert, la montée vers le cratère du Dolomieu, vide et silencieuse. Au loin un panache de nuage blanc, cumulus amarré au sommet du volcan, se gonfle et se dégonfle. Des voiles brun-jaune s’étirent dans le ciel bleu. Peu à peu, je prends conscience d’une légère odeur acide qui pique le nez.

Là où bouillonnaient des fontaines de lave au fond du cratère prêt à déborder, un gouffre cônique s’est creusé.


…La tentation est grande de marcher en funambule sur cette nouvelle crête vertigineuse et craquante. Combien de volcanologues sont morts dans leur lit ? En tout cas, pas Maurice et Katia Krafft, qui ont tant arpenté la Fournaise, mais ont cherché la mort sur un autre monstre au Japon…


Saint André 

Interdit au public de sortir de chez soi. Alerte rouge.

Durant l’alerte cyclonique, les rafales de vent à plus de 300 kms à l’heure arrachent sur leur passage tout ce qui tente de leur résister. Le sifflement incessant rend nerveux. La tension monte dans les cases après 24 h de confinement. Envie de sortir, de tester la résistance de son corps aux bourrasques. De sentir la consistance de l’air accéléré sur le visage.

… à l’actif de Gamède : 2 morts, 90 blessés, 100.000 personnes privées d’eau et d’électricité pendant des jours…et combien de dépenses et d’espoirs réduits à néant ?


L’eau, le feu, la terre, l’air nous comblent et nous violentent. D’un seul geste, ici, les quatre éléments savent ôter la vie aux hommes qui les défient.











Point de rencontre



Les premiers rayons du soleil effleurent le clocher de la basilique et ceux de la grande église noire privée de sa façade par un musée, un bar-jazz et un magasin de souvenirs. Les pavés respirent encore sous les sautillements légers des pigeons et des moineaux, les premiers visiteurs.

Il arrive, seul, se poste à l’endroit habituel, sous le panneau. Il observe avec délice le ciel pâlissant entre les toits et le regard furieux du colosse de la fontaine, sûrement un héros. Il écoute le silence menacé bientôt par les voitures balayettes, l’équivalent pour le pavé des poissons nettoyeurs d’aquarium. Il a rebâti toute la nuit son échafaudage d’espoir. Il y grimpe et attend, seul, mais plus pour très longtemps.


Le coq de l’horloge mouvante laisse grincer douloureusement ses cordes vocales métalliques parachevant la course lente et saccadée des douze apôtres et le discret tintement de la cloche du temps squelette. (Si vous ne voyez pas le tableau je vous conseille un petit tour sur la Grand Place de Prague.) Brouhaha des conversations, cliquetis des appareils photos, tintement des couverts et des chaises qu’on déplace à la terrasse des cafés.

De l’autre coté de la place, il est là, il attend encore. Il a posé sa main sur le poteau métallique qui lui sert de repère et observe la grande affiche « Cartier » qui vente ses sacs à main en léopard presque pas faux. Le léopard en question observe avec une sauvagerie sensuelle la jolie brune innocente qui caresse son sac, à demi nue sur son divan de cuir. Il observe les passants qui jamais ne le lui rendent. Des fissures menacent l’échafaudage. Chaque sourire perdu qu’il adresse est un clou qui jaillit de sa planche.


La maison rose aux multiples fioritures, sans doute imaginée par l’architecte qui édifia la maison en sucre de la sorcière des frères Grimm, se peint d’orange et d’or dans la lumière du couchant. L’hôtel de ville, jaune poussin, finit de dégorger ses employés. Les terrasses des restaurants se vident au profit d’intérieurs douillets et des feux dans les cheminées.

Toujours sous le panneau, accroché au poteau, il est encore là. Il observe la fumée délicate qui sort de sa bouche à chaque expiration, plus épaisse à mesure que la nuit et le froid l’enveloppent. Quelques éclats de bois, tout ce qui reste de son mur d’espoir, le séparent encore de la folie.

Finalement il s’assoit, adossé au poteau et ferme les yeux sur sa solitude, sans comprendre.

Demain peut-être, il ne sera plus seul à être seul. Demain peut-être, mieux qu’aujourd’hui, le panneau auquel il s’accroche, tiendra toutes ses promesses.


De nouveau le ciel a pâli, les poissons nettoyeurs ont cajolé les pavés, les touristes commencent à photographier l’horloge, des cafés réveillent les glottes ou souillent les nappes en papier des restaurants qui ouvrent leur terrasse. Il est près de 8h, une horde de touristes roses et frais se dirige d’un pas alerte, plan de la ville en main, vers le panneau. Remontant la rue, un groupe plus petit de touristes tout aussi roses et frais, tout à fait semblables aux premiers dans leur accoutrement d’esquimaux Décathlon, remonte la rue en direction de ce même panneau.

Alors que l’horloge s’apprête à sonner ses 8 coups et à libérer ses apôtres, la jonction s’opère entre les deux groupes au niveau du panneau. Un homme moins engoncé et plus alerte que les autres agrippe le poteau d’une main ferme et s’adresse d’une voix forte à l’accent jovial aux ouailles rassemblées, leur expliquant le programme de la journée.

« … Puis de 13h à 14h30, après le déjeuner, c’est quartier libre, vous pourrez en profiter pour acheter de merveilleuses poupées gigognes ou bien de chaleureuses coiffes en poils de nubuck russe. A 14h30, sans faute, rendez-vous ici, sous ce panneau, nous nous rendrons au Musée de la Torture puis à celui des Sexes Machines, juste à côté. »

La horde repart, très animée.

Personne n’a voulu remarquer, au pied du panneau, la forme affaissée, emmitouflée dans une parka vert bouteille d’où dépasse une barbe grisonnante. Une main frêle, pâle, marbrée de mauve, agrippe encore la base du poteau.


Au milieu de la grand place de Prague, en république tchèque, se dresse, si petit et insignifiant au milieu des immeubles colorés, un panneau sur lequel on peut lire la promesse de jours heureux : « Meet point / Point de rencontre …».







Chemin d’eau


On l’attendait. On l’attend. L’eau. Des jours entiers accablants. Les nuits aussi. Pas de sommeil : la peau exsude, ramollissant le corps, le cerveau tourne au ralenti. Sur le carrelage de la terrasse, le chat reste étalé, comme si la chair offerte de son ventre bénéficiait du moindre souffle d’air, malgré le pelage touffu. Parfois il baille dans son sommeil.

Pas de chance, ce pelage noir qui concentre la chaleur. Eline se demande si les chats blancs sont plus heureux que les chats noirs depuis que la chaleur est si forte. Peut-on calculer en degrés l’influence de la couleur et de l’épaisseur de poils sur la température interne de l’animal ? Elle en est là. Evidemment c’est pitoyable. Mais à quoi s’occuper l’esprit autrement ? Sa pensée vagabonde dans des histoires de théorie des climats, de darwinisme, de calotte glaciaire dégoulinant comme un frigo qu’on dégivre, mais aucune pensée ne se fixe vraiment, surtout pas l’image de Kim. On étouffe.

On attend l’eau pour recommencer à exister. Les fruits du jardin ont flétri et les corps ne se cherchent plus. Pourquoi le début de la canicule a-t-il coïncidé avec l’indifférence de Kim ? Ou l’inverse ? Ou son indifférence à elle ? Qui a commencé ? D’abord, la moiteur des mains. Comment garder le contact quand les mains collent, glissent, mêlent leurs gouttelettes : une sorte de dégoût l’avait saisie. Ou lui. Il avait repoussé sa main, elle s’en souvient. Plus tard, elle avait senti le corps de l’homme trop proche : la sueur créait une sorte de no man’s land entre eux, annihilant les pulsions érotiques. Leur nudité devenait écoeurante. On aurait aussi bien pu mettre côte à côte deux serpillières pas essorées. Elle avait pourtant entendu, avant qu’il la rejoigne, le bruit de la douche. Rapide, la douche, à cause des restrictions. Son ventre à elle transpirait aussi, et ses propres aisselles dégageaient une odeur qu’elle n’aimait pas. Dégoût de soi- même ? Est-ce cela, ne plus pouvoir se sentir ? Ensuite, ils s’étaient disputés. Elle avait accusé Kim d’être nerveux, de ne jamais sortir de ses préoccupations professionnelles. Est-ce ma faute si les gens me regardent de travers ? Est-ce ma faute s’il fait cette chaleur insupportable ? Je suis météorologue, c’est-à-dire responsable des instruments de mesure, pas responsable du climat ? Pas du climat, bon sang, tu m’écoutes ? Elle avait rassemblé ce qui lui restait d’énergie pour partir, rentrer chez elle, sortir un reste de café glacé, donner à boire au chat qui semblait au bord de la syncope, tenter de dormir sans y parvenir.

Des jours avaient passé sans qu’il l’appelle. Elle ne voulait pas penser à lui, mais c’était difficile. Tout discours sur le réchauffement du climat – et il y en avait tous les jours et partout - la ramenait à Kim. Elle avait tout de même écouté les informations au cas où on aurait reçu l’autorisation de remettre les climatiseurs. Mais non. Il n’était question que des restrictions d’eau. Des interdictions. Des contrôleurs qui passaient vérifier les réserves et coller des amendes aux bricoleurs de climatiseurs sauvages. Du ramassage des objets obsolètes. Des incidences de la canicule sur le fonctionnement des communications. Des accords entre l’Europe et la Panarabie contre la Chine. Des tentatives de forages sous-marins pour trouver du pétrole. Quelle absurdité, puisqu’il faut du carburant pour aller en chercher. Pareil pour l’éthanol, le méthanol et autres fariboles. Et la chaleur. On ne comptait plus les espèces disparues. Adieu les manchots. On redoutait les épizooties pour les survivants. Les pandémies pour les humains.

Et puis l’orage est arrivé à l’aube. Superbe. Des éclairs ont fendu le ciel. Elle a senti ses cellules crépiter, sa peau trembler. Et l’eau. L’eau qu’on attendait est venue. En masse, en trombe. Soudain le jardin a pris une profonde respiration. Le chat s’est dressé sur ses pattes, à la fois joyeux et craintif. Elle s’est rappelé une chanson que son arrière grand-mère fredonnait tout le temps – ce qui l’agaçait évidemment –  « Le jour où la pluie viendra, nous serons toi et moi les plus riches du monde ». Kim. Bien sûr qu’ils sont, elle et lui, les plus riches du monde !

Elle est sortie. Ses vêtements ont collé à son corps comme une caresse, un retour de la sensualité. Elle a respiré l’odeur de la terre mouillée – pourtant le jardin est fait de terre artificielle - un vieux souvenir sans doute, et le bruit : le crépitement de la pluie. Elle a commencé à marcher sur le chemin. Dans les ornières, car sans carburant, à quoi bon entretenir routes et chemins ? Puis à courir, en pensant à Kim. Le corps de Kim lui semble tout à coup ce qu’il y a de plus désirable au monde. Et sûrement Kim est en route vers elle. Quelle bêtise ces querelles, quand on est tous embarqués dans la même galère. Très vite le chemin est devenu un chemin d’eau, les fossés se sont remplis à toute allure, et l’eau s’est mise à ruisseler entre les restes de bitume et les déchets de plastique.

Kim ! Elle l’a aperçu au bout du chemin. Elle a couru. Elle court. Ils se serrent l’un contre l’autre, avec passion, une fraîcheur inouïe dans le corps, certains qu’ils sont amoureux, décidés à ne plus se quitter, riant et s’embrassant sous l’averse immense. Rien ne nous empêche de faire l’amour tout de suite, Kim, ici, dans le chemin d’eau. Oh oui, dit Kim en riant et pleurant. Comme ta peau est brillante. Et tes cheveux. Et tes seins. Et tes cuisses contre les miennes. Profitons-en. D’après les dernières prévisions de l’Office, il n’est pas certain que la pluie s’arrête, regarde déjà, ce chemin d’eau. On va tous finir noyés. Même les chats.C’est ce que les anciens appelaient …

On s’en fiche complètement dit Eline en retirant ce qui lui reste de vêtements trempés, en glissant sa langue dans la bouche de Kim pour l’empêcher de parler. Après nous le Déluge.




Jacquier

(A l’ombre d’un pied de jacques)


36° à l’ombre ? Sûrement bien plus dans les taches de soleil que je traverse, luisante de transpiration. L’urgence est de trouver de l’ombre, une toute petite place à l’ombre pour me poser un peu, mais où ?

Les parasols rouges des camelots du marché forain de Saint Paul ne m’inspirent pas, ils n’apportent qu’une tâche chaude, trop chaude aux légumes qu’ils abritent. Dans la fournaise de cette heure méridienne, les échanges se font au ralenti : moins de mots, moins de gestes, car tout effort se paie en gouttes de sueur.

Cloques rouges aux épaules, chapeaux et lunettes vissés au crâne en mesure préventive anti-soleil, quelques touristes « métro » sont en chasse d’un trésor idéal : LE souvenir qui résumera à lui seul leurs vacances. Des mères de famille chinoises, carré lisse et air grave, sont, elles, en quête du meilleur prix pour les « bringelles » légume obligé du Nouvel An chinois de demain.

J’ai enfin gagné la ligne des arbres dont l’ombrage vert me semble une promesse de fraîcheur. D’un tronc, à peine plus haut que ma tête, poussent des excroissances vertes mousse de la taille de ballons de rugby crevés, hérissés de pustules dures et régulières. Je pousse du pied l’un des fruits tombés à terre sans envie de tester du doigt la rugosité géométrique de sa peau.

Face à moi, j’entends le martèlement d’un hachoir sur un billot. Les yeux fixés sur sa tâche, une vieille femme débite très finement une de ces grosses masses vertes, et hache menu la chair grise pour en remplir des barquettes.

« Ca kosa il est, ça ? »

- Zak, zak-dir, Ti zak battu, pou met’ dann’cari ti zak.

C’est du jacques, jacques-dur, du jacques battu pour mettre dans le cari ti- jacque.

Il faut donc que quelqu’un, un jour, ait pensé à accommoder en un bon plat réunionnais, ces tumeurs végétales si peu appétissantes ! J’écoute la recette avec attention pour cuisiner « ti zak ék boucané, ék saucisse, ék la mori »

Les vieux doigts striés de ridules noires par leur bain quotidien de jus de jacque, ont chargé avec largesse une barquette pour moi.

« Et ça ou laime, la « zoreil zié blé ? ». La  métropolitaine aux yeux bleus que je suis, aura droit à un sourire et à une douceur en plus : la gramoune m’offre de goûter un jacques mûr, un zak-soso. Du bout des doigts, je détache, du fruit tranché en deux, quelques graines filandreuses, jaunes et poisseuses. Il faut sucer la chair, et j’aime sa saveur sucrée. En guise de dessert, le jacques est aussi un fruit savoureux. Mais me voila « dann’ la kol zak », dans l’embarras, avec mes doigts collants dans la touffeur de midi. Les vagues clapotent à deux pas, le long du sable noir, l’eau salée de l’océan va me venir en aide !










Chemin de la vieille usine



On habitait là, rue du Nord. Ca s’appelait comme ça, avant. Une rue ? Au début, juste un chemin de terre, quelques maisons seulement et des bicoques. Les bicoques, c’était pour les Polonais. La route bitumée, c’était l’accès à l’usine, pour la voiture du patron. Nous on était logés là par l’Usine. Un vrai logement, avec l’eau courante. C’est que tout le monde l’avait pas, l’eau courante. Rue du Nord, il y avait une pompe. Les femmes, les Polonaises, elles attendaient là, avec leurs seaux, leurs brocs, sous la pluie, et même en hiver, quelquefois la pompe était gelée. Nous on avait le chauffage, un poêle à charbon, on mettait pas n’importe quoi, ah non, du coke, fourni par l’usine. Dehors, il y avait les chiens, nos chiens.

Parce que c’est toute l’usine qu’il surveillait, Alfred. Avec les chiens. Il avait toutes les clés des ateliers, hein, et même celles des bureaux. Et moi j’étais à la pointeuse. Ah, ça ne te dit rien la pointeuse ! Tout le monde m’appelait, moi, en rigolant, la mère pointeuse, mais en réalité c’est une horloge, et comme ça chaque jour on sait qui arrive à l’heure et qui arrive en retard. En retard, allez hop, un retrait de salaire. Normal, non ? Et tu vois, même si c’était un chemin de terre, la rue du Nord, chez moi, c’était toujours propre. Parce que, dans le Nord, on est des maniaques de la propreté, faut que tout brille, même la cuisinière à charbon, et le sol, surtout le sol, tiens, mon parterre, on aurait pu manger dessus, quand je venais de passer la wasingue. Tandis que les Polonais, eux, ils étaient sales. J’ai toujours dit à ma fille, surtout, joue pas avec eux. Les gosses, d’abord il y en avait bien trop, comment on peut avoir autant d’enfants ? Après ils ont toujours la morve au nez, des tabliers déchirés, les ongles noirs forcément. Joue pas avec eux, c’est un coup à attraper des maladies. Ma fille, elle était malheureuse d’avoir quitté le Nord, son école, sa petite vie. Moi aussi. Même que je continuais à mettre le café à bouillir sur le coin de la cuisinière et que je faisais du lapin aux pruneaux pour les ouvriers. C’était pas pareil, ça s’appelait rue du Nord, mais c’était à Bezons. Faut bien vivre, hein. Et puis, on n’était pas les seuls, Rue du Nord, à part les Polonais, y avait que des Chtimis. Bien contents d’avoir trouvé du boulot en banlieue, à l’usine. Et puis gardien, c’est un bon métier. Une usine qui fabrique de l’armement, on risquait pas d’être au chômage, hein !

C’est vrai, Alfred, il a pas eu de chance. Pourtant, les chiens, on les nourrissait bien. Et puis, brossés, entretenus, un beau poil, dressés par un maître chien. Et doux, enfin avec nos petits, ils étaient doux, on les avait habitués comme ça. Alfred, il tenait pas ses chiens ? Ah non, faut pas dire ça. C’était un accident. Alfred, il a vu quelqu’un, une silhouette, de loin, il a pensé, un voleur. Est-ce qu’il pouvait savoir que c’était le fils du patron ? Il faisait quoi à l’usine, au milieu de la nuit, hein ? Ah, quelle misère !

Alfred, il a perdu son boulot, et moi, j’ai pas pu rester non plus, fallait quitter le logement. Eh bien, tu vois, les Polonais, hein, quand ils ont su, ils sont tous venus nous apporter quelque chose, des biscuits et puis de leur espèce de ragoût, de la bière, et même de l’eau- de- vie pour réconforter Alfred, alors, forcément, on a partagé le café. Qu’est-ce que ça faisait, après tout qu’ils étaient sales, le travail à l’usine, ça salit, sauf gardien, bien sûr, mais gardien, fallait plus y compter. Ils étaient tristes qu’on parte, les Polonais, ils nous ont aidé à déménager avec la charrette du père Michel, et tous leurs enfants. On avait le cœur gros de quitter la rue du Nord et l’usine. On a changé de banlieue.



Maintenant, l’usine, c’est plus qu’un souvenir. On a rasé tout le quartier, construit des barres et des bananes, comme on dit. C’est drôle qu’on ait appelé cette petite allée « Chemin de la vieille usine ». Qui se souvient de ça ?

Enfin, ma petite fille, quand tu me dis que tu vas te marier avec un Polonais, tu vois, ça m’inquiète un peu, parce que je me dit, celui-là, il doit être pauvre, et élevé à la dure, et pas éduqué et tout ça, et sa famille, dans le temps, on allait chercher de l’eau avec une cruche et tout et tout. Mais, tu dis qu’il est Européen, et docteur, alors, je te crois. D’abord, tu me demandes pas mon avis, est-ce que quelqu’un s’occupe de l’avis de l’arrière-grand-mère, je te demande un peu ? Alors, je vais te dire quelque chose, ma petite fille : tu peux en être sûre, ton mari, même s’il a les mains sales et la morve au nez, il a sûrement bon cœur...








Boutique créole





Il n’était pas tout à fait comme moi. Je l’ai vu dès qu’il est arrivé. La même étiquette mais pas tout à fait. Lorsque je lui ai demandé le pourquoi de son aspect, plus sombre et plus compact que le mien, il m’a d’abord regardé avec l’air de ne pas savoir s’il allait prendre la peine de me répondre ou pas. Et puis c’est autour de nous qu’il a regardé, et il a eu l’air de comprendre que ce qu’il voyait était probablement l’ultime décor du dernier épisode de sa vie, de nos vies.

Alors il m’a expliqué, il m’a dit, il m’a raconté.


Il ne venait pas du même endroit que moi. Ce fut un choc pour moi d’apprendre cela car je pensais que nous avions tous la même origine. Lui n’avait jamais connu la vie en carton, la mise en rayon, la grande distribution. Il n’avait pas vécu les semaines d’attente interminables, dans des conditions effroyables. Il ne fut pas tassé et écrasé au milieu de centaines de congénères, enlevés un à un par les mains des légendaires ménagères. Il n’avait aucune idée du brouhaha incessant qui nous assourdissait. Les crissements des roulettes des chariots trop vieux, les cris et pleurs des progénitures trop excitées des ménagères trop fatiguées. Les appels à la caisse centrale, les appâts hurlés pour la promotion du jour à ne pas rater sur des produits frais presque périmés. Le passage sur le tapis noir qui bouge tout seul, avant d’être saisi par une autre main humaine, qui transpirait autant l’indifférence que l’agacement. Finalement tout ce qu’il partageait avec moi c’était l’abri provisoire que représentait ce placard central de la cuisine de notre ménagère à nous.





Lui venait d’un tout petit endroit, aux mêmes fonctions que le mien, mais en beaucoup beaucoup plus petit. Ils n’étaient que dix comme lui sur son étagère. Il les connaissait toutes les ménagères qui y venaient. Et même les autres. Il me parla du vieux Félix Payet qui s’en venait chaque jour chercher sa botte de brèdes et son bout de boucané. De Jean-Luc, qui raffole des gâteaux, de Pedro-Léon, du petit Louis envoyé par sa de mère pour ramener le litre de lait quotidien.

Et puis il y avait Arsène et son copain Johnny Lagoutte, qui venaient boire leurs dodos du soir, ou encore Eline et Kim, les deux zoreils un peu bizarres mais gentils, et l’institutrice, un peu décalée, elle aussi. Il les connaissait tous et prenait plaisir à les entendre tous les jours, les voir prendre le temps de raconter les derniers ladi lafés au patron, nullement parasités par un brouhaha qui n’existait pas.

Quant à son aspect plus sombre, enfin plutôt roux d’ailleurs, c’était parce qu’il était d’une qualité pays. Et compact parce qu’il venait des hauteurs de l’île, là où l’humidité quittait rarement les lieux, lui conférant l’appellation de « sucre les hauts ».

Et il était certain qu’il y retournerait. Sous une autre forme c’était sûr, peut-être celle d’un beignet banane ou d’un bonbon miel, mais qu’importe. Il y retournerait, parce qu’une fois qu’on la connaît, qu’on la fréquente et qu’on s’y plait, on ne quitte jamais tout à fait une boutique créole.

Arsène Moto


Ce soir, c’est fête pour Arsène Moto. En avant l’aventure.

Arsène a 30 ans.

Une petite moustache bien taillée, des cheveux tirés en arrière, la gomina d’un danseur de fandango. Un brin rondelet.

Inoffensif.

Arsène est apiculteur et célibataire.

Rien de palpitant dans la vie d’Arsène. Malgré sa timidité maladive, il recherche les sensations fortes. Inconscience.


23h00. Nuit sans étoile. Tout est gris foncé. La route. Le bas côté plutôt, au niveau de l’épingle à cheveux, juste après la maison 16.

Le 9.7.4. Saint Leu. Que fait Arsène dans le chemin surprise ?

Rouge carmin le blouson.

Rouge vermillon son engin.

Rouge pétard… les sacoches en cuir. Rouge que du rouge.

Qui est cet Arsène ?


23h30. Ils arrivent. Quatre, cinq, une nuée bravant la pluie torrentielle.

Leurs feux éclairent violemment la route inondée.

Pétarades infernales, fumées nauséabondes.

Les montures de fer s’approchent comme poussées par un vent de force 6.


Voyageur errant. Aventurier des salines.

Arsène est comme Ulysse. Le bruit des moteurs, le chant des sirènes.

Un halo de lumière rouge. Couleur pourpre.

De loin, je les observe. De loin, je le surveille.



Leurs yeux de métal me glacent le sang. Sourires cannibalesques.


Lentement, l’un d’entre eux descend de sa machine infernale et se rapproche, ne quittant pas des yeux l’objet de sa convoitise. Arsène est sonné.

Plus rien, je ne vois et n’entends plus personne. Où est mon ami ?

Mes yeux insistent, tentent de comprendre l’indicible. A mon tour, je m’approche.


Chemin surprise.

Une moto clinquante sur le bas côté.

Un tas de poussières rouges tout à côté.

Je reste là, tout groggy, un long moment.


Arsène Moto aura connu une grande et unique aventure. Son heure de gloire.

Une épopée qui restera car moi, Johnny Lagoutte, ami « à la vie à la mort » (comme disait l’Arsène), j’en fais serment, je ferai vivre son histoire.

Récit des aventures d’Arsène Moto par les hauts et par les bas, par tous les chemins, chez Pierre Paul Jacques, chez la Cafrine, de la maison 16 à la maison 58, et même bien plus loin encore.





Ecole La fontaine




Jusqu’ici je ne pouvais pas en parler. Je faisais comme si. Je me débrouillais pour que ça ne se voie pas. Surtout je ne voulais pas me l’avouer à moi-même. Mon drame c’est que je perds la mémoire ! Mais ce matin je me suis rendu compte que ça avait empiré : quand je me suis réveillée et que j’ai aperçu sur la commode de bois rouge, juste en face de mon lit, une statuette de danseuse cambodgienne au sourire malicieux, j’ai senti comme un déchirement intérieur. Je trouve à peine les mots pour expliquer ce qui s’est passé en moi. J’avais beau observer les objets mis à jour timidement par la lumière qui filtrait à travers les petits trous du volet, la danseuse d’argent, le miroir dont le cadre, sans doute ordinaire, était recouvert d’une bande de tissus orange le long duquel étaient cousues des dizaines de petites pièces dorées, et qui se déroulait de chaque côté comme des cheveux nattés, des vêtements posés sur une chaise, bien pliés, non rien, je ne reconnaissais rien de tout ce que je découvrais. Je me suis redressée et j’ai allongé le bras pour prendre le pantalon plié en trois, sur le tas. Non, jamais vu, je ne porte jamais de jeans ! lorsque je me suis levée et que j’ai vérifié la taille, j’ai trouvé bizarre qu’il corresponde à ma taille : « Tiens, du 40 comme moi ! ». Quand au chemisier, je ne vous le décrirais pas, je ne supporte pas cette mode camouflage, style PovMod.

Et puis soudain, c’est là que tout s’est effondré en moi, j’ai lâché le slip dont finalement je trouvais pas mal les rayures violettes et roses sur un fond noir pour me prendre la tête entre les mains. C’était affreux, non seulement je ne reconnaissais pas l’univers qui m’entourait, mais je ne me reconnaissais plus moi-même. Alors je me suis assise sur le lit et j’ai essayé de me retrouver. J’ai touché mes cuisses, mon ventre j’ai croisé mes bras autour de mon corps comme pour m’embrasser moi-même. J’étais incapable de dire qui j’étais. Puis une idée m’est venue, le miroir, je me suis mise en face et ce visage m’était totalement étranger.

Alors j’ai pleuré, et puis peu à peu mes sanglots ont laissé place à une petite mélodie, une toute petite chanson qui faisait comme : « à la claire fontaine… » et puis je me suis dit essayons encore, fontaine, la fontaine, oui c’est ça je tiens un fil, ce mince filet de voix avait permis de faire émerger des mots, des mots qui m’aideraient à me retrouver. C’est alors que je me suis récité : « La cigale et la fourmi » j’étais fière d’être allée jusqu’au bout. Mais c’est de qui cette histoire, oui c’est ça Jean de La Fontaine et il y en avait d’autres, et si j’essayais Le corbeau et le renard, Les animaux malades de la peste. J’avais mal à force de chercher les rimes qui manquaient, mais je persévérais. Je faisais des allers et retours dans la chambre, pieds nus sur le tapis mogol, et chaque fable apportait un peu plus de sérénité à ce visage qui à chaque demi-tour apparaissait entouré de ce halo orange et doré. Peu à peu le visage s’est détendu, je récitais maintenant Le chêne et le roseau, et je me suis dit soyons roseau, ne résistons pas et peut-être que la lumière viendra.

Et puis soudain, tout s’est éclairé en moi, j’ai observé une dernière fois ce visage qui me paraissait désormais familier. Finalement il commençait à me convenir et je commençais à trouver une réponse à ma question : « Qui suis-je ? »









Brutalement j’ai saisi la manivelle et ai remonté le volet, j’étais inondée de lumière. J’ai enfilé le slip rayé. Le jeans m’allait parfaitement. Pour le chemisier je me suis dis que tant pis, que ça irait pour cette fois. J’ai ouvert la porte et j’ai entendu une voix : « ça va chérie ? Je t’ai préparé un thé, mais ne perds pas de temps il est 7 heures et demie » J’ai embrassé le locuteur (pas désagréable !) j’ai bu le thé, j’ai pris le cartable au pied du bar. Quand je suis sortie la voiture était déjà dans l’allée et le portail était ouvert ! Je suis institutrice à l’école la fontaine et ce matin (si je ne me trompe pas) nous aurons la visite de l’inspecteur !









Maison 58



Moi je voulais bien essayer encore mais quand même cela faisait beaucoup de fois que j’essayais et à chaque fois que je venais présenter mon travail à Maîtresse elle me l’enlevait et me redonnait une feuille blanche parce qu’il y avait toujours quelque chose en trop, en moins ou de travers.

La consigne avait pourtant eu l’air simple lorsqu’elle l’avait énoncé ce matin : « Dessine la maison de tes rêves. »

Louis il a dit : « Oh c’est facile ! » et il est vite allé chercher son pot de feutres pour se mettre au travail. Il fait toujours tout vite Louis. Vite et bien comme dit Maîtresse. Il n’a même pas eu besoin du faire un brouillon, il a tout de suite apporté sa feuille et Maîtresse a dit que c’était très bien dessiné, et très bien colorié, sans dépasser, et qu’il avait le droit d’aller dans le coin bibliothèque choisir le livre qu’il voulait en attendant que les autres terminent leur travail. Le coin bibliothèque il est réservé à ceux qui travaillent vite et bien. Moi je n’y vais jamais, je fais toujours partie des autres qui terminent leur travail.

Ce matin je n’ai pas crié que c’était facile quand j’ai entendu la consigne. Je me suis plutôt demandé comment j’allais bien pouvoir me débrouiller pour que la maison de mes rêves se retrouve sur ma feuille blanche. Parce qu’une maison il doit y en avoir qu’une alors que des rêves on en a plein et les maisons dedans changent à chaque fois. Peut-être qu’il y en a qui rêvent toujours de la même maison, comme Louis. Alors là oui cela doit être facile de la dessiner. Mais moi des rêves j’en ai plein, et des maisons aussi, et il a fallu choisir, et je n’ai toujours pas réussi.

En premier j’ai dessiné la maison de quand je suis le meilleur ami de Spiderman. Elle est très haute avec des grandes ouvertures sans vitres pour qu’il puisse y entrer à toute vitesse sans tout casser et sans se faire mal. Mais ce n’était pas bon parce que les maisons sans fenêtres ça n’existe pas a dit Maîtresse.

J’ai ensuite tenté de représenter mon palais sous l’eau, celui où je vais pour jouer avec Némo. Il est tout bleu pour ne pas que les requins le voient et dedans il n’y a pas de porte ni de lit ni de tables parce on ne s’en sert pas quand on nage. Là encore j’avais faux et le droit de recommencer.

Alors j’ai décidé de faire ma maison de quand je suis une grande personne, avec un plafond transparent pour voir les étoiles la nuit mais qui se change en toit en tôle pour quand il pleut, pour entendre très fort le bruit des gouttes. Là j’ai fait des très grands lits très mous et des tas de tables et de fenêtres, et une cuisine avec un frigo qui se remplit tout seul et un four qui cuit toujours quelque chose de très bon pour le goûter. Peut-être ai-je mis trop de détails parce que Maîtresse a dit qu’elle ne comprenait rien du tout et elle s’est un peu fâché en me disant que quand même ce n’était pas difficile et que des modèles de maison il y en avait pas cinquante. Pour elle peut-être mais moi dans mes rêves j’ai compté et j’en ai déjà vu cinquante-huit, des maisons…









Chemin Surprise



Encore une épingle, encore une, encore une, une autre, non une dizaine d’autres ah là là… ça ne pique pas, mais ça donne mal au cœur. Et ouf, du plat. Et puis ça recommence : le moteur peine, j’ai mal au cœur, est-ce que je suis dans un tournevis ? Pourtant la petite auto s’agrippe. Enfin devant nous, une balise blanche et rouge, un croisement. On y est. Juste en face, les panneaux invitent à des rencontres invraisemblables, « Colimaçons », à gauche, « Avirons », à droite : que sont venu faire les rameurs à cette altitude ? Qui surveille la côte depuis la D 13 ? Surtout, où sont cachés ces escargots dont la réputation va jusqu’au bout de l’île, que je connaissais à peine descendue de l’avion ? Au-dessus des panneaux, le Ti-Bon-Dieu peint en rouge, orné de son balai et de ses boîtes de conserve, me fait signe que le moment est important. Réfléchissons.

Premières épingles, première impression, route pénible, je dirais même « insupportable ». Premier replat, premier coup d’œil, vision arrière: superbe. Pour être juste, on peut aller jusqu’à sublime. La baie, toute la baie, les toits, les arbres, les maisons blanches, le pont de Saint-Leu, l’infiniment grand surplombant l’infiniment petit.

Tant pis pour les Vikings, je tourne à gauche.

Deux cents, trois cent mètres encore, sur la gauche ; la vue est toujours magnifique. Qu’est-ce que c’est que cette maison blanche et bleue, pas finie mais il faut aller voir ?

On descend quelques marches, on entre dans un courant d’air, tout à coup la peau respire. Vous êtes sur la terrasse, vous montez voir l’autre terrasse, toute blanche, au bord du toit bleu: les mots sont indignes, il faut l’avouer: bleu, bleu, bleu, et encore bleu, on ne peut que répéter ça, pas besoin de verbe, les verbes attendront, comme les colimaçons qui, j’en suis sûre maintenant, viendront au rendez-vous quand ils sauront que je vais m’installer là, moi : la surprise ne fait que commencer.







La Fontaine



-Maître corbeau sur un arbre perché ……………….Maître Corbeau sur un arbre perché………..Oh que c’est dur ! René, ça veut pas entrer !

- Moi, je sais jusqu’à «  fromage »……… «  tenait dans son bec un fromage ! »

-René, qui est-ce qui les a faites les fables de La Fontaine ? et pourquoi ça s’appelle les fables de la fontaine ? 

-Mon Dieu, Henriette, pour rien, c’est un nom composé, comme chou-fleur !

-Et d’abord il n’y a presque pas de fontaine, rien que des animaux…

- Ah ! ce n’est pas rose la vie !

Coucou Monsieur Feydeau ! Malheureux René, malheureuse Henriette ! Fâchés avec les fables d’une certaine fontaine. Scotchés à leur table de travail avec ce Corbeau niais qui va encore se faire avoir par ce maudit Renard. C’est pourtant pas faute d’avoir été prévenus !

Et si Monsieur de La Fontaine avait écrit le Corbeau et le Renard pour nous apprendre qu’il ne faut pas parler quand on a du fromage dans la bouche…….. !

René, Henriette, Henriette, René ! Encore une histoire d’amours contrariées !

Mais Monsieur de La Fontaine, sachez-le, vous ne nous aurez pas ! Ce n’est pas une histoire de fromage qui nous séparera !


Souvenirs heureux, de jeux d’école, de fiancés, d’acteurs en herbe. Fontaine de Jouvence que ces réminiscences !


Existe-t-il dans la langue française un autre mot qui se soit autant prêté à escapades buissonnières ! « à la claire fontaine, m’en allant promener……………. » Coïncidences, hasard ? Il n’y a pas un virage, un bord de ravine que je n’arpente sur cette route qui trace de La Fontaine à l’Etang.Salut Expedit ! Coucou Moïse ! La descente est rapide jusqu’à ………….. Halte-là ! Ce virage en bas. La bande est là sur son toit en esplanade, guettant comme à chaque soir mon arrivée d’un pas maintenant mal assuré. «Alors Mamie ! la forme ? On marche ? Je peux faire un bout avec toi ? » «Fontaine je ne boirai pas de ton eau ! » Goguenards au départ, je les sens bienveillants maintenant. C’est sûrement la bande d’Arsène Moto. L’église n’est pas loin, l’Etang non plus. Alors pas de « je pleure comme une fontaine » Mais non, voyons ! On pleure «comme une Madeleine»,  pas comme une fontaine ! Comme une Madeleine ? Bien sûr ! Mais la Madeleine, c’est Proust, ça sert à se souvenir, pas à pleurer. Ça coule de source, enfin ! La Fontaine, Feydeau, Proust, vous vous y retrouvez, vous ?


De Charybde en Scylla, de Trois Bassins à Bassin Bleu, il était presque évident que la vague me porte jusqu’ à «chez mémé RIVIERE » à La Fontaine, dans une maison bleue presque adossée à la colline où ceux qui vivent là ont jeté la clé après des années de route. Mireille, René, Christian, Guillemette, Evelyne, attendez-moi !


«  A petite fontaine boit-on à son aise ? » A La Fontaine St Leu, en tous cas, oui ! Et nous trinquons à toutes les fontaines de France et de Navarre !

La Fontaine ! Terminus ! Tout le monde descend !




Voici maintenant les « signatures » des douze participants au « chantier » :


Dans l’ordre de la montée …..



La cafrine Elsa

Epingle à cheveux Emilie

Impasse de la falaise John

Batterie sans culotte Guillemette

Epineux Flore

Savane Sonna

Maison 16 Yvonne

Chantier Liliane

Ouvrage d’art exceptionnel Yvonne

Interdit au public Catherine

Point de rencontre Sophie

Chemin d’eau Guillemette

Jacquier Catherine

Chemin de la vieille usine Guillemette

Boutique créole Emilie

Arsène moto Liliane

Ecole la fontaine Yvonne

Maison 58 Emilie

Chemin Surprise Mireille

Fontaine Lydia




ZISTOIR LA FONTAINE, sur une idée de Guillemette de Grissac a été réalisé à côté de l’arrêt de bus « Fontaine » avec l’aide, pour la réalisation du recueil, d’Emilie Lécutiez et Christian-John Leunens. Photos : G. de Grissac*, C-J Leunens.


Achevé (ouf !) fin 2008.
















Pour monter jusqu’au lieu dit La Fontaine, il y a une cinquantaine de virages dont certains sont peu ordinaires. L’un d’entre eux, nous l’avons surnommé le Moebius, tellement il ressemble à un ruban à surface unique, prêt à nous transporter dans une dimension incertaine, réduite à une courbe infinie.

une douzaine d’arrêts de « cars » jalonnent la route sinueuse et chacun porte un nom suscité par le terrain, la végétation, un repère humain visible ou disparu, la présence d’une maison ou d’une boutik …







Octobre 2008

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